TEXTE : Impossibilité de retourner l’école
De façon générale on considère la pauvreté, les grossesses précoces, la paresse, le mariage forcé, le harcèlement sexuel… comme les causes essentielles de déperdition scolaire. Or ces causes ne sont pas insurmontables. Avec un peu de volonté et de persévérance le tour est joué. Parmi les jeunes filles qui tombent enceinte, certaines retournent en classe après l’accouchement… Mais savez-vous qu’il existe une autre cause de déperdition scolaire des filles autre que la grossesse ou le harcèlement sexuel ? Une cause handicapante qui éloigne la fille des classes de façon irrémédiable…
Mon entrée au couvent avait marqué la fin de mes études. Car les vodounsis étaient astreints à des contraintes vestimentaires. Les hommes pouvaient s’habiller normalement les jours ordinaires. Mais l’or des cérémonies, ils devaient se ceindre les reins d’un pagne blanc et demeurer pieds nus. En revanche, il était interdit aux femmes, en tout lieu, de porter des robes ou des camisoles. Mon seul habillement se résumait alors à un pagne ceint autour de la taille. Pour les grandes occasions, je ne pouvais que mettre des pagnes et des foulards de grande valeur, rechaussés de beaux bijoux.
Le pagne faisait donc sa dictature, et c’était l’une des raisons pour lesquelles je ne pouvais pas continuer les études. Je ne pouvais me rendre en classe avec le pagne noué autour de la taille, ce pagne fut-il en kaki, quand mes camarades seraient en robe. Même si j’obtenais une dérogation spéciale, mes camarades ne comprendraient pas ce qui m’était arrivé. Les sarcasmes et autres boutades auraient afflué. Et d’ailleurs, comment pouvais-je expliquer mon absence tout aussi longue que brusque des cours ? Et même si toutes ces difficultés avaient été aplanies, si le pagne de kaki était acquis, si les camarades étaient assez indulgents pour ne pas se moquer des scarifications qui juraient sur ma peau laiteuse, même si tout était pour le mieux dans le meilleur des mondes, restait la question du prénom. Il aurait fallu que je me fasse établir une nouvelle pièce d’identité. En plus, si c’était assez simple de changer d’état civil, c’était une autre bataille que celle de convaincre ses camarades de classe et professeurs de vous appeler désormais Nontien plutôt que C… !
Au départ, j’avais entretenu quelque illusion sur la possibilité de retourner en cours. Je compris par la suite que c’était impossible. J’envisage ensuite de préparer le baccalauréat en autodidacte et de le passer. En série littéraire, la chose était bien faisable et j’avais certes une chance à jouer. Cependant je dus rapidement me raviser. Pensez que les examinateurs ne me laisseraient jamais rentrer dans une salle d’examen avec le pagne ceint autour de la taille. Il fallait trouver autre chose.
Carmen Toudonou, Presqu’une vie, Ed. Plume Soleil, pp 122-123
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