ENTRONS DANS LE LIVRE.
Anna, la mère de Abi, atteinte d’un cancer en phase terminale est agonisante. Pendant ce laps de temps, elle nous raconte sa vie. Ici elle nous confie un secret de survie: un lieu secret forgé dans sa tête où elle se rencontre…
Anna,
Qu’il est long de mourir. Je suis à la fin de mon chemin, la détresse de ma fille m’ entrave et me retient. Je m’attarde malgré la douleur, mon désir d’en finir, je reste pour Abi.
J’ai toujours eu en moi un endroit secret où je pouvais me retirer en toutes circonstances. Je l’appelle mon château fort. Dans cette pièce car je l’imagine comme une pièce, les murs se resserrent sur mon cœur les jours d’angoisse et le bonheur fait entrer la lumière à foison. J’y crie ma douleur, j’y dis mes peurs, je chante aussi: à tue-tete. Je parle fort, j’ argumente: toujours avec brio, je trouve les mots qui libèrent et dénouent. Je me mets à la fenêtre lorsque j’ai besoin d’observer le monde et je clos les volets s’il me prend le désir de m’en extraire. Dans ce lieu qui n’existe que dans mon esprit, aussi réel pour moi que l’air que je respire, je colorie le monde à l’ arc-en-ciel de mon âme. Aucune des personnes qui ont traversé ma vie, famille, amis, amants, mari, n’y a jamais eu accès. Aucune hormis Abi. A peine était-elle née, que j’entendis pour la première fois une voix autre que la mienne dans mon refuge. Un gazouillis d’enfant que je reconnus immédiatement. Je sus que j’étais enfin complète.
HEMLEY BOUM, Les jours viennent et passent, Gallimard, Paris, 2019. pp18-19
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